HISTORIQUE DU SACREMENT DE MARIAGE

le sacrement de la situation particulière

    Humaniser la sexualité, vivre en couple, fonder une famille, procréer et éduquer des enfants, autant d'expériences qui sont marquées par des rites d'une grande diversité dans toutes les cultures. Dans la foi,les époux chrétiens accueillent leur amour et le don de la vie qu'ils vont réaliser comme une parabole vivante du don du Christ et de sa fidélité à son Église et comme une participation à la création. Le rapport homme-femme est sans doute la figure la plus éminente de l'unité et de la convivialité humaines. Sa réalisation dans le respect mutuel de la différence,l'égalité reconnue, la fidélité et la tendresse sont une tâche qui fonde l'humanité et son histoire.

    Durant le premier millénaire de l'histoire de l'Église, le mariage est souvent célébré hors de la liturgie suivant les coutumiers sociaux et familiaux, assorti des exigences de l'Évangile : monogamie, fidélité, car les baptisés «se marient dans le Seigneur» (voir Eph. ch. 5). Au cours de l'assemblée dominicale qui suit est prévue un prière de bénédiction de l'épouse. Sur son sujet entre les théologiens les débats seront passionnés, notamment sur deux points. Le premier concerne la sexualité, considérée jusqu'à saint Thomas comme mauvaise, entachée de péché et donc difficilement acceptable comme matière d'un sacrement. Le second tient à l'enjeu que représentera pour l'Église de gérer, de contrôler,et d'administrer le mariage des princes, puis du peuple, l'arrachant en quelque sorte à son autonomie familiale et sociale. Elle a ses raisons : les mariages des princes sont l'occasion d'alliances, de conquêtes de royaumes, qui peuvent mettre en péril son influence. Par ailleurs ils se font et se défont au gré des intérêts bien plus qu'en fidélité au sens du mariage chrétien. Quant au mariage des gens du peuple, il se passe de contrat et respecte peu le choix et la liberté du consentement des conjoints. Progressivement, ce qui était un rite coutumier et familial béni par le prêtre. La présence du prêtre sera nécessaire pour le contrat et l'échange des consentements. Celui-ci va prendre la place du père de famille comme «marieur» puis devenir au 16e siècle en même temps que le ministre requis pour le sacrement, le notable attitré pour les contrats.

    Depuis, les choses ont bien changé. A partir du concordat et de Napoléon I", l'État prend en charge le mariage qui devient d'abord un acte civil pas forcément religieux, et prévoit la possibilité de divorce. Plus récemment, de nouvelles représentations de la sexualité, du couple, de la famille se sont installées, provoquant des changements de comportement dans la société, mais aussi chez les chrétiens : vie commune avant le mariage, cohabitation excluant toute démarche par rapport à l'Église ou à la mairie, accroissement du nombre des divorces, présence grandissante dans les communautés chrétiennes de divorcés remariés. La nécessité impose à l'Église des nouveaux enjeux et de réfléchir une fois encore sur le sens du mariage comme sacrement dans ce nouveau contexte.

Le couple à travers les âges

    Vers 2000 av. J.C., existe dans les tribus indo-européennes (celtes, germaniques, slaves, indiennes...) un régime matriarcal polyandrique, avec des cellules familiales de 20 à 60 personnes. Ce système, qui donne tous les pouvoirs à la femme, mère et prêtresse, engendre une violence telle qu'elle provoque un renversement en faveur du patriarcat aux alentours de 1000-900 av. J.C., en Israël, en Grèce et à Rome. L'homme s'octroit tous les pouvoirs. L'exigence de virginité de l'épouse assure aux enfants deux parents et non un seul puisque la paternité est connue. Ce régime est amélioré par Rome qui instaure un contrat juridique avec séparation des biens et divorce possible. A partir du III siècle après J.C., le mariage romain, jugé trop lié à des intérêts financiers, recule au profit du concubinage. Dès avant la proclamation du christianisme comme religion d'Etat, en 392, l'Eglise fonde le couple sur le consentement libre des deux époux  (saint Ambroise). Malgré le Patriarcat et la Polygamie en vigueur chez les envahisseurs germaniques, une longue luttes s'engage alors en faveur de l'égalité de l'homme et de la femme. Le sacrement de mariage, défini dès le V siècle, implique, malgré les résistances des contemporains, le refus du divorce qui s'impose au IX siècle.

La nouveauté apportée par le Christianisme

    Dans l'Evangile selon  saint Matthieu   Chapitre 19, versets 3 à 6, nous lisons: "Des pharisiens s’approchèrent de Jésus pour le mettre à l’épreuve: Ils lui demandèrent : «Est-il permis de renvoyer sa femme pour n’importe quel motif ? .» Il répondit : «N’avez-vous pas lu l’Ecriture ? Au commencement, le Créateur les fit homme et femme, et il leur dit: Voilà pourquoi l’homme quittera son père et sa mère, il s’attachera à sa femme, et tous deux ne feront plus qu’un. A cause de cela, ils ne sont plus deux, mais un seul. Donc, ce que Dieu a uni, que l’homme ne le sépare pas ! "

    Le Christianisme jusqu'à nos jours reste la seule et unique religion qui prône non seulement la monogamie mais aussi aussi la vraie égalité de l'homme et de la femme. De là émerge un premier modèle de couple chrétien, la famille nucléaire vivant sous le même toit, la femme étant partenaire de l'homme : « ni une servante ni une maîtresse mais une compagne ». Cet équilibre est remis en question lors de la crise de civilisation médiévale aux XIV et XV siècles. La misogynie, la croyance en l'impossible maîtrise des sens chez les femmes enclenchent de violentes critiques contre l'Eglise ainsi que  la Réforme protestante avec son puritanisme souvent excessif.

    Il faut attendre le concile de Trente (1563), pour voir affirmer que la procréation n'est pas l'unique fin du mariage et qu'elle prend place à côté de la réjouissance mutuelle. La cérémonie religieuse devient obligatoire, les époux donnant leur libre consentement devant un prêtre.

 

Place au mariage d'amour

    La monarchie d'Ancien Régime refuse de reconnaître cette liberté des jeunes, tandis que le monopole du discours amoureux passe aux mains des philosophes des Lumières ; Voltaire propose le modèle de l'amour libre, Rousseau celui du couple fidèle par devoir. La Révolution, en 1792, réalise la liberté de consentement dans le cadre du mariage civil, mais l'autorisation du divorce par consentement mutuel provoque une telle augmentation du nombre de séparations que le code civil de 1804 le supprime et remet la femme sous l'autorité du mari. Au XIX siècle, l'Eglise fait alliance avec le romantisme. Triomphe alors, vers 1880, un mariage d'amour, et non plus de raison, avec choix mutuel du conjoint. Les deux guerres mondiales remettent encore cet équilibre en cause. Une nouvelle crise du mariage s'ouvre à partir de 1960, qu'accentué, en 1975, la loi sur le divorce par consentement mutuel et en 2009 une telle procédure simplifiée.

 

    Le couple chrétien, créé par choix mutuel, libre et conscient de l'appel du Christ, ne s'est généralisé que depuis un siècle. Il n'a derrière lui que trois générations d'expérience d'un authentique amour conjugal. Il est aujourd'hui confronté à un nouveau défi : montrer que le sentiment amoureux ne suffit pas, et que la volonté de mener à bien un projet durable est possible grâce à cette folie de Dieu qui s'appelle la fidélité.